JOUR 5 – L’APOCALYPSE S’ABAT SUR SETE – CARNET DE ROUTE 2016

Il est clair que le temps passe très vite. On est déjà mercredi, c’est notre troisième jour sur Sète, notre record de longévité dans une ville. D’ailleurs, après le petit-déjeuner encore pris sur le fil du rasoir, on se pose la question de l’avenir de notre aventure. Doit-on se rendre à un hébergement plus proche de la plage ? Doit-on se rendre dès à présent à Montpellier afin de découvrir l’animation de cette ville, dite étudiante ? Doit-on se rendre tout simplement à la plage et se baigner ? Toutes ces interrogations sont présentes et peu de réponses actuellement. Après la douche et la toilette, Thibault propose de chercher un Airbnb à Montpellier. Il nous précise que sa copine, ainsi qu’une amie à elle, pourraient nous y rejoindre et qu’au moins nous serions au calme, au propre et tranquilles pour les derniers jours.

Ainsi, l’ancien étudiant en école de commerce à Nantes lance plusieurs demandes d’hébergement sur Montpellier et ses alentours via l’application. « Mais comment va-t-on aller aux fêtes Saint-Louis qui ont lieu demain ?, demande Loïc.
Au pire, on fait l’aller – retour en TER !, lui suggère Thibault.
Ouais, ‘fin bon, ça veut dire passer la nuit dans la rue quand même, car tu n’as pas 100.000 trains la nuit, voire zéro. Il faut que ça vaille le coup, lui rappelle-je. »
On n’est jamais d’accord, mais c’est ce qui fait notre charme. D’ailleurs, c’est assez drôle, car Sonia, la réceptionniste, nous surnomme les « 7 nains », aucun rapport avec notre taille, ni avec notre nombre. Elle trouve simplement qu’on a chacun notre « rôle » dans la bande. Léo est Dormeur, Loïc est Grognon, Lucas est Prof, Thibault est Joyeux et moi ceux qui restent, bien que la salariée de l’auberge m’ait renommé Charmeur. Ainsi, nos personnalités différentes font que nos décisions sont à la fois mûrement réfléchies et à la fois très compliquées à prendre. Un peu comme mettre d’accord les députés d’un même parti à l’Assemblée nationale….

« C’est de l’orage ? »

C’était décidé. Nous cherchons des logements peu chers sur Montpellier, mais si à 13 heures, nous n’avons pas de réponse, nous partirons à la plage de Sète et ce, sans que personne ne nous y empêche. Nous devons ne pas rester immobiles et ne pas rater à nouveau une virée à la mer, tel hier, nous effrayés par quelques nuages et de la brume. Après un déjeuner classique, « plats de pâtes », le JT de Jean-Pierre Pernaut doit certainement commencer pour ceux qui ont la télé allumée sur la Une, c’est-à-dire qu’il va être 13 heures. Aucune nouvelle de part et d’autre des individus contactés sur l’application, ça ne sent pas bon pour un départ vers Montpellier.

Le ciel est beau. D’un bleu très clair. Le soleil tape assez fort. Cela me convainc de faire une petite lessive. Je propose à Léo de se joindre à moi. On sépare le blanc des couleurs, surtout du rouge. Mon collègue aux cheveux bouclés me raconte la fois où son père a oublié d’enlever le rouge du blanc. Je ne vous décris pas le résultat mais le Parti socialiste en serait fier, si vous voyez ce que je veux dire. En lavant mes affaires avec du savon de Marseille, j’entends des bruits sourds perturbés la chanson que je fredonnais. Je regarde Léo. « C’est de l’orage ? ». Il est désormais presque 14 heures et Sonia arrive près de nous. « Déjà, tu devrais arrêter de chanter et surtout ne restez pas là, ça va tomber », nous indique-t-elle. Je souris. Jamais il ne pourrait pleuvoir, il faisait tellement beau. Une première goutte tombe sur mon crâne, ça y est, ça ne sent pas bon. Je cours piquer des chaises, alors que la pluie se fait doucement sentir. Sur ces chaises, je jette toutes nos affaires et les range dans les toilettes du camping.

Je vois les gars arriver en courant pour ranger rapidement ce qu’on a laissé autour de la tente, avant de redescendre près de l’accueil. A nouveau, j’entends des coups de tonnerre assez puissants, et ce coup-ci des éclairs. C’est la drache assurée. Je n’ai pas eu le temps de récupérer un t-shirt propre et sec, donc je me retrouve torse nu. Dans l’une des grandes salles de restauration, nous sommes autour d’une table à nous poser la question : « On fait quoi ? » Ce coup-ci, c’est sûr, la plage, c’est mort. Une tempête de grêle déferle sur les rues en pente. Être sur la plage doit être l’apocalypse, un enfer. Se retrouver au chaud entre potes est un beau sursis. On re-vérifie si les AirBnB n’ont pas répondu. Une dame nous a laissé un message mais il ne semble pas y avoir de clés dans l’appartement, qui est en plus très excentré des quartiers animés. Puis, surtout, ça ne sent pas bon, la responsable de l’offre n’habite pas en France…mais aux Etats-Unis. On fait vite une croix dessus.

Lune de miel à Sète

Dans la panique, Loïc a pris le jeu de cartes de Tarot. Il est malin mon Belge. N’empêche, il s’est rapidement fait une place dans le groupe. Sans être du style à se tirer la révérence,  il s’est fait remarquer par ses grognements pour chacun des efforts sportifs à réaliser, mais il s’est très vite adapté à notre équipe de Parisiens. D’ailleurs, nous abusons parfois, à lui faire des blagues sur les habitants Outre-Quiévrain. Honnêtement, quand on est seul pour se défendre, face à quatre tacleurs comme nous, ce n’est pas la tâche la plus simple. Son passif de vacanciers en France lui a forgé les épaules pour riposter à chacune de nos piques. Agile.

Cette partie de tarot m’ennuie un peu, non pas que je n’aime pas les cartes, au contraire, mais le temps de latence, ralenti par les difficultés d’assimilation des règles et la fatigue due au temps infernal, me donne l’impression que nous jouons depuis des heures. Nous avons à peine terminé une partie. « Léo, tu ne veux pas qu’on aille se boire un truc, j’ai la gorge sèche, lance-je à mon camarade de lessive.
Partez pas trop longtemps, nous signale Lucas. »

C’est la patronne de l’auberge qui gère à ce moment le bar, il y a tout le monde ici de toute façon…Avec ce temps… « Une sangria, s’il vous plait ! », commande-je. Il n’y en a plus, la responsable me propose son rosé fruité à la cerise. Elle me promet que je vais me régaler, Léo me suit. Souhaitant fumer sa clope, Léo m’invite à l’accompagner dans un coin à l’extérieur au sec et loin des violentes rafales de vent qui n’ont cessé d’agiter les chaises à l’extérieur. Nous goûtons cette nouvelle boisson. Elle ne m’a pas menti, c’est vraiment exquis, assez fruité et alcoolisé, ce qu’il faut pour s’hydrater, n’est-ce pas ?

Un gars à l’intérieur s’approche et nous interroge sur la ville et les événements qui vont avoir lieu. Comme à notre habitude, nous lui narrons les grandes lignes de notre aventure, les quelques rencontres, le Cap d’Agde, le port de Sète et même la maison abandonnée. Lui s’appelle David, il a 28 ans et est informaticien. Ce ne sont pas de simples vacances pour lui ici, c’est sa lune de miel. En effet, il est venu avec sa femme, sa belle-sœur et ses deux filles. Très fier de nous les montrer, il nous explique que sa femme et lui se sont mariés il y a moins d’une semaine, et que cela fait uniquement deux semaines qu’ils vivent sous le même toit. En couple depuis dix ans, les nouveaux mariés avaient tout investi pour construire une maison, à leur goût, dans la banlieue toulousaine. Il nous confie que tout ça s’est fait dans la précipitation, même s’ils parlaient depuis un moment, de s’unir et de vivre ensemble. Et l’auberge de jeunesse, David avoue qu’il l’a choisie sur un coup de tête. Il cherchait un coin paisible, sans trop de touristes et à la fois proche de la mer. Bim, Sète ! En plein dans le mille. Cinq ans nous séparent avec lui, ainsi que deux mondes différents. Lui est casé, avec un métier, des enfants, une maison. Nous sommes célibataires, tout juste en fin d’études et encore chez nos parents.

Enfin une bonne bouffe !

Au fur et à mesure, les autres pensionnaires arrivent au compte-goutte dans l’auberge, tout trempés et épuisés. Cela nous fait penser que nous avons lâché les trois autres sur la partie de tarot. En retournant dans la salle, on se reçoit des « vous étiez où ? » et des « on l’a finie quand cette partie ? ». Avec un doux sourire, Léo leur annonce : « Je crois qu’elle est finie. »  L’orage a duré réellement toute l’après-midi et nous n’avons pas eu de nouvelles des AirBnB. Inconsciemment, nous avons fait le bon choix de ne pas bouger aujourd’hui, car nous aurions eu la pluie toute la journée et à Montpellier, nous n’aurions eu aucun logement. Encore pire, via un « push » -vous savez ces notifications d’applications de médias, j’apprends qu’un grave accident a eu lieu en début d’après-midi sur un TER passant par Sète et juste avant Montpellier. Le message décrit des dizaines de blessés à la suite d’une chute d’un arbre sur les rails. Ce train, nous devions le prendre si nous avions eu un AirBnB dès ce matin. Avec des « si », le monde serait différent.

Pour ce soir, après avoir passé cinq jours à manger des plats low-cost, sur un commun accord nous choisissons de faire une bonne bouffe, celle qui coûte certes un peu plus chère mais qui vaut le coup. Toujours autant débats, dont ma forte participation, pour savoir ce qu’on mangerait, afin que ça plaise à tout le monde. En utilisant l’application « TripAdvisor », un restaurant de hamburgers attire notre attention. Avec 4,5 étoiles sur 5 et des photos alléchantes, sans compter ce petit détail mais toujours rassurant de « Fait maison », nous optons pour le « Goldburger », situé à deux pas du port et des petits bars aux alentours. Parfait donc !

En pénétrant dans le « fastfood » deluxe, deux femmes sont aux fourneaux, une mère et sa fille. La plus jeune prend les commandes, pendant que les steaks cuisent entre les mains de son parent. Immédiatement, ils reconnaissent que nous sommes des touristes et se moquent un peu de nous. La jeune trentenaire est assez taquine, alors que sa mère essaye, avec le sourire de nous provoquer, nous les jeunes gars qui venons de la capitale (française et belge !). A la découverte de la carte, notre appétit grandit à une vitesse exponentielle. Comment choisir entre le « Suprême poulet » (Poulet pané, cheddar, bacon, salade, tomate, sauce curry) et l’ « italien » (Steak haché frais, aubergine, poivron, mâche, roquette, tomate confite, parmesan, sauce câpre) ? Certains commandent le premier, d’autres le second. Ce sont ces deux sandwichs qui font le plus de ravage. Au moment de payer, je vois que la demoiselle blonde commence à faire de la gringue à Thibault. Ce qui ne semble pas lui déplaire, même si ça lui passe un peu par-dessus, il aime en jouer. L’ex-étudiant d’Audencia tente de négocier un lieu où être hébergé en alternative de l’auberge de jeunesse pour les prochains jours ! Mais, en vain, son charme n’aura pas le pouvoir non plus d’ouvrir tous les cœurs….les maisons à lui.

Le flair du bar

C’est un délice. On se goinfre pour la première fois autour d’un plat de bonne qualité. Les frites, aussi faites maison, sont croustillantes et ont encore un meilleur goût mélangé à la sauce moutarde, que j’avais soigneusement appliqué au bord de mon burger. Nous sommes face à une télévision, qui diffuse alors, la dure défaite de la France contre les Espagnols en basketball lors des Jeux Olympiques de Rio. J’aurais bien aimé voir une victoire en direct, surtout que je n’avais que très peu suivi cette année les JO. J’ai même raté le sacre de Teddy Riner, j’étais en Espagne à cette période. En finissant nos assiettes, un petit bidon s’est formé sur chacun de nos bas-ventres, synonyme que nous sommes rassasiés.

Pour digérer, que peut-on faire de mieux qu’une petite balade ? Pour cela, nous démarrons une balade près des bateaux, peut-être allons-nous trouver un bar pour boire quelques bières ? Aujourd’hui, on n’a pas rencontré grand monde, c’est surement le signe qu’on a fait le tour de Sète et qu’il est temps de partir ! Au bord du canal, nous passons à côté de chaque bar, mais les prix semblent assez élevés. Si on pouvait éviter de racler en consommation d’alcool, ce serait le top. Puis, on voulait un coin sympa aussi, pas le premier bistrot du coin de la rue. Ainsi, de terrasses en terrasses, on se fait soit alpaguer pour nous supplier de s’asseoir, ce qui est particulièrement étrange, soit comprendre qu’il n’y a plus de places. Une galère. Thibault décide de trancher en allant d’un bar qui ne paye pas de mine, une sorte de restaurant de fruits de mer. Il y a de la place et on peut négocier les prix de Happy Hour. Moi, personnellement, ça me tente moyen. Ayant encore l’espoir de trouver mieux, je leur dis que je continue encore un peu sur la route, mon flair me guide vers le bout de la rue, où il semble y avoir d’autres lieux de beuverie.

Une soirée relancée

Au bout de la ruelle, une grande terrasse aux couleurs rouges avec un style « jungle », des plantes et des tonneaux peints aux couleurs de zèbre arboraient la petite place. De première vue, ce bar a tout pour plaire, mais encore faut-il qu’il soit correct au niveau des consommations et des prix. Je vois deux filles, une blonde et une rousse sur une table du « Bar du Vieux Port ». Elles doivent avoir tout juste la vingtaine. « Salut, excusez-moi de vous déranger. Ce bar vaut le coup ?
Ouais, on l’a trouvé récemment et c’est plutôt sympa. Mais nous, on n’est pas d’ici, on est à Sète depuis lundi pour les vacances, me raconte l’une d’elles.
C’est drôle nous aussi. On est à l’auberge de jeunesse au sommet de Sète.
Nous aussi, on est à l’auberge, relance-t-elle. »
La situation est assez similaire de celle de mon premier jour à Narbonne, avec Blanche. Je tombais sur des personnes dans la même configuration de « vacances » que la mienne. De ce fait, je leur propose que l’on puisse les rejoindre, les cinq mecs à leur table. Elles disent oui.

Je fais signe à l’équipe que j’ai trouvé un bar et nous nous asseyons tous autour de la double-table désormais, vu que nous avons plus que tripler le nombre de personnes. C’est mon tour normalement de payer à boire ce soir. Nous nous sommes tout répartis selon une application, l’argent que nous dépensons et afin d’être tous égaux, chacun paye à tour de rôle. Le bar ne prend pas la carte bleue, évidemment. Moi qui avais démarré la discussion avec les deux jeunes filles, je me retrouve à ne pas pouvoir boire et à chercher un distributeur dans Sète. Je marche, je marche. Je tombe sur des distributeurs…qui ne marchent pas. Je continue ma quête. Toujours rien. Quelle malchance. Et il fait chaud. Sous mon t-shirt, je commence à suer. Je reviens penaud au bar, avec cette déception de ne pas pouvoir payer. C’est finalement Léo qui a mis quelques billets pour payer sa tournée. En arrivant, je découvre surtout qu’un nouveau gars est à notre table. Un grand bonhomme, avec une casquette, un jogging et un collier avec une croix. Soyons dans le cliché, je l’appelle Kevin.

Je vous épargne l’ensemble de la soirée dans le bar, entre multiples cocktails et pintes que nous prenons. Le courant passe plutôt bien dans le nouveau groupe. Seul Kévin se sent un peu à l’écart. Si le gars nous a rejoints à la table, c’est parce que Thibault a remarqué qu’il est aussi dans notre auberge de jeunesse, comme il est seul, notre bon cœur a fait que nous l’avons convié à notre soirée. Pour la petite explication, il vient de Grenoble, il a eu un souci avec sa voiture et devait absolument venir sur Sète. D’office, il nous balance qu’il n’a pas fait beaucoup d’études et qu’il se sent totalement dépassé lorsque nous parlons d’universités et d’études supérieures.

La disposition des tables fait que deux petits groupes se sont créés. Assis sur la dernière chaise vide après ma recherche désespérée, je me retrouve à côté de Kevin et de Lucas, mais je lance la discussion à l’une des deux filles qui est la plus proche de moi : Claire. Elle va sur ses 24 ans, rien à voir donc avec mon estimation d’origine, plus proche des 20 ans. Le feeling passe très vite entre nus deux, puisqu’elle a terminé ses études dans le milieu de la production, après avoir notamment réalisé un stage chez Shine France. C’est la boite de production de « The Island » ou « The Voice ». Ayant une appétence pour les médias, nous avons de suite accroché, perdant complètement le pauvre Kévin, qui m’assure, pour exister dans la conversation, regarder Arte, sa chaîne préférée. Claire est donc venue à Sète avec son amie Hortense. Pour tout vous dire, j’ai compris qu’elle travaille dans le milieu de la communication ou l’évènementiel, mais elle parle beaucoup plus avec les autres garçons. Je n’ai pas eu beaucoup de temps d’échanger avec elle, bien qu’elle soit plus que cordiale et très drôle. Tous les jours depuis lundi, elle planche sur son ordinateur portable, pour un projet, une sorte de site, si mes souvenirs sont bons. Les deux filles se trouvaient avant à Clermont-Ferrand, en Auvergne. Elles vivent un peu entre le 63 et la capitale. Une double-vie en quelque sorte. Mais le travail se trouve principalement à Paris…

La maison « hantée »

C’est un nouveau groupe que nous venons de construire…sans Kévin qui quitte le groupe, il ne veut pas remonter à l’auberge. La sentence est irrévocable. De notre côté, l’équipe de « Sète » (et de sept) décide de partir du port et de se diriger vers notre hébergement. En grimpant, on se souvient qu’il nous reste un peu d’alcool. Un bon moyen de poursuivre la soirée. Au bar, les discussions allaient à tout va et logiquement nous avons parlé de la maison abandonnée visitée hier. De ce fait, Thibault propose aux filles qu’on aille leur faire découvrir l’urbex ! Un plaisir donc ! Avec quelques bières et une bouteille de whisky coupé au coca-cola, tout est parfait.

Direction le manoir, on repasse par-dessus le muret, on aide les filles, qui sont petites de taille, on traverse les hautes herbes et on arrive sur la terrasse  du rez-de-chaussée, qui offre un panorama grandiose sur la ville. Le vent frappant sur les feuilles donne le sentiment d’une respiration sourde. Les hululements de hiboux plongent l’instant dans une ambiance sombre et glauque, même si Claire est persuadée que c’est un humain imitant mal l’oiseau. Cette drôle atmosphère fait susurre à l’esprit de Lucas l’idée de faire une blague aux filles. C’est limite obligé, vous voyez le contexte : cinq gars qui connaissent un lieu laissé à l’abandon invitent deux jeunes filles. Bon, non, dis comme ça, ça donne l’impression d’un début de page faits-divers dans le canard du coin. Bref, le canular du musicien à l’arche, est de se cacher dans la maison en avance pour effrayer les filles lorsque nous allons visiter les pièces. Pour cela, Lucas me met dans la confidence et souhaite que je les convainque d’entrer sans lui, alors que ce dernier serait parti aux toilettes dans les buissons. Sauf que les filles ne sont pas dupes. « Attendez, on se compte ! Il manque quelqu’un », alerte Claire. Le sketch est perdu d’avance…mais j’essaie de tenir le gag jusqu’au bout et je leur dis que je me moque d’où se trouve Lucas.

En entrant dans la porte principale, je ne sais absolument pas où le gaillard à lunettes se situe, il est passé par la porte de derrière (de la maison). Ainsi, de pièces en pièces, je suppose que les filles savent que Lucas se cache mais ont simplement la trousse qu’il apparaisse d’un coup, par surprise. Nous nous arrêtons dans l’un des balcons. Hortense s’écrie : « Y’a quelqu’un dans le buisson là-bas ». Je tourne la tête, je ne vois personne. Toute la soirée tourne ainsi entre réalité et bluff. Claire tombe en premier lieu dans le panneau de sa copine, alors que cette dernière lui fait un clin d’œil. La blague n’a quasiment pas tenu et commence juste à me prendre la tête. Après un commun accord, on sort de cette maison. Nous avons épuisé toute notre imagination pour inventer des histoires de ce lieu. On en a un peu marre, cela sent la fin de la soirée. Les filles expliquent qu’elles aimeraient se lever tôt demain pour voir le lever du soleil au belvédère. Habituellement, c’est une chose qui nous tenterait, mais là, nous sommes tout de même dans un sacré état de fatigue. Depuis le début du séjour, nous buvons en grande quantité et nous nous couchons très tard, chaque soir, avec des réveils assez tôt. Me réveiller pour un lever de soleil, je l’ai fait l’année dernière en Corse sur le ferry, je crois que j’ai donné ! Pour la prochaine fois !

Ce cinquième jour se termine donc ainsi, par un retour à l’auberge de jeunesse avec deux nouveaux compagnons de route. Dans la journée, lors de la violente tempête, les filles racontent qu’elles ont dû fuir les plages face à la puissance de la grêle. Finalement, encore une journée avec de nouvelles rencontres, pas si ratée que ça. Autour des tentes, tout est calme, pas un bruit. Il est loin le temps où il y avait les jeunes (et les moins jeunes) participants du « demi-festival » qui avaient investi les lieux. Désormais, nous ne sommes que les derniers trublions de l’auberge. Avec les filles, on s’est mis d’accord pour se retrouver le lendemain à la plage, histoire qu’on y aille au moins une fois, une dernière. Mais resterons-nous une nuit de plus à Sète ? Trouverons-nous un AirBnB ? Que va-t-il se passer lors des fêtes de Saint Louis ? Encore une fois, on vit au jour le jour, les réponses à ces questions se feront demain. Là ? Dodo.

 

 

 

 

JOUR 4 – CA SENT L’URBEX A SETE ! – CARNET DE VOYAGE 2016

Nous sommes mardi 16 août et notre tente reste planté dans la ville de Sète, il n’y aura pas de départ ce matin en direction d’une autre ville, pas de course pour trouver un bus, pas de train à frauder, pas d’office de tourisme à trouver, pas de camping à appeler pour apprendre qu’il est complet, donc pas de soucis. Mon réveil se met à sonner. Il est 9h50, le petit-déjeuner, offert par l’auberge de jeunesse pour chaque nuitée payée, se termine à 10h, il faut se speeder. Je mets un petit coup à Loïc, qui grogne. En sortant, je fais signe à Lucas et à Léo que le repas du matin n’est pas éternel. Seul Lucas me suit. In extremis, je goûte au pain rassis, à la confiture de première qualité et aux cafés solubles. Les délices des vacances. Mais peut-on se plaindre ? Après toutes les étapes que nous avons traversées les jours précédents, ce petit-déjeuner est luxueux.

Le bateau tombe à l’eau

Il est plus de 10 heures, les deux autres loustics nous rejoignent dans la salle « à chargeurs de téléphone ». Le temps fait grise mine et une épaisse brume flotte au-dessus de la ville. Quelques gouttes de pluie tombent sur le nez. Il semble que le projet « bateau » tombe à l’eau, la matinée est donc de tout repos, avec rien de folichon. Félix et Paul, les deux amis fans de rap nous ont rejoints. Eux, ils ont fait leur sac à dos, ils repartent dès ce soir avec un bus en direction d’Angers, mais doivent faire un détour par Clermont-Ferrand avant de pouvoir retourner chez eux.  Ils sont d’accord avec nous, la balade en bateau ne sera pas possible aujourd’hui. Il fait trop moche dehors et ce serait trop dangereux de naviguer en plein brouillard.

Le temps défile et à presque 13 heures, on décide qu’on ira se balader en ville cet après-midi, histoire de visiter un peu la ville de Sète. Pour le moment, nous allons manger. Les gars ont acheté des « nouilles », ce que je n’aime pas. Je ne me sens pas prêt à me lancer en mode « cuistot de MasterChef » et réaliser un plat de pâtes, uniquement pour moi. Je vais m’acheter un déjeuner tout fait, mais pour cela, je dois partir en ville. Je lâche donc mes camarades pour descendre, et le mot est juste tellement c’est « pentue ». Arpentant en solitaire les rues de cette commune de pêcheurs, je me rends compte qu’il fait sérieusement plus chaud en plus basse altitude. Sur le coup, je me dis aussi que, oui, c’est logique.

A la recherche d’un fast-food, je tombe sur le « sun7 », un nom typique de « bars » ou de « kebabs ». Pas de « grec » chez eux, mais que des hamburgers et des « tacos ». Le fast-food appartient à un restaurant en face, et les serveurs travaillent pour les deux filiales. Une jeune salariée m’apostrophe alors que je regarde les menus. Après avoir pris ma commande (un tacos), elle me propose de m’asseoir pour patienter. Deux grands gaillards se lèvent en me fixant du regard, attrapent une table et me la posent devant moi. Ce sont des clients, ils ont l’aspect de « caïlleras », mais se sont tout simplement souciés de moi. L’époque du Cap d’Agde est tellement loin !

Ilona

« Ca bouge pas mal à Sète pour les jeunes ? », questionne-je (ça se dit ?) la serveuse, qui est resté planté devant moi à attendre que des clients s’approchent et que mon tacos soit prêt. A son tour, elle prend une chaise et me raconte un peu sa vie. Son prénom est le même que celui d’un clip animé des années 2000 sur des animaux de la ferme, Ilona. Elle a 26 ans et a récemment terminé ses études. Originaire de Nîmes, à Sète elle a trouvé une plénitude et un calme l’année, et du mouvement avec les touristes l’été. Clairement, Ilona m’explique que ce n’est pas LA ville de la jeunesse ici et qu’il faut rejoindre les plages pour que ça bouge. Cette jolie Méditerranéenne s’excuse du sale temps d’aujourd’hui, pour moi, touriste et me promet, pour moi, qu’il reviendra (le beau temps) cet après-midi. Elle croit que je suis venu seul et que je ne suis d’arrêt qu’un soir. Je lui explique vaguement mon périple depuis Narbonne, sans réellement entrer dans les détails.

En plein milieu de notre discussion, des clients interrompent ce moment isolé de mon attente. Désormais, je n’adresse plus la parole à Ilona, elle doit reprendre logiquement son travail. Cette parenthèse inattendue m’a fait du bien et m’a offert le soleil absent de ce matin. Merci Frédéric Lopez ! Le cuisinier crie « Le Tacos », synonyme que mon plat est terminé. Je pars le prendre et me dirige en direction de l’auberge. Jetant un regard parmi les tables, ma dernière rencontre a disparu. Tant pis. Puis…j’entends un « bonne route » d’un côté, elle apporte deux plats, l’un à chaque bras. Je lui remercie et lui souhaite une bonne continuation. La chanson des « Passantes » de Georges Brassens, chez qui nous étions, sa ville, Sète, prend tout un sens. Je suis destiné à voir des « passantes », mais ça me satisfait, c’est agréable.

La flemme l’emporte sur la raison

Je grimpe la colline et retrouve rapidement mes trois companeros et les deux Angevins. Je ne leur parle pas du petit moment que je venais de passer. Je leur dis uniquement que j’ai trouvé un fastfood peu cher. Pendant que je déguste mon sandwich gras, nous confirmons à Sonia, la réceptionniste que nous passerons une nuitée supplémentaire. Nous sommes aussi mardi 16 août. C’est le jour de l’arrivée de Thibault. Il doit être là aux alentours de 17 heures. Notre groupe de six a le temps pour profiter de la ville et visiter des coins assez originaux. En descendant en ville et après avoir perdu dans la foule deux fois Léo (pourquoi Léo ? on ne sait pas), les nuages se tirent et la chaleur se fait ressentir. On s’approche du port et c’est un ciel bleu, sans un seul nuage avec une température avoisinant les 30°C. Ca y est, nous avons le sentiment d’avoir raté quelque chose, la plage. On n’y est pas allé depuis déjà deux jours, depuis le Cap d’Agde.

Deux solutions s’offrent à nous, soit nous refaisons le chemin inverse pour l’auberge, et donc perdons une heure, soit nous partons près des rochers du port, se baigner en caleçon et sécher avec le soleil. Sans surprise, la flemme l’emporte sur la raison. On saute par-dessus un muret en pierre, qui sépare le trottoir des énormes rochers cubiques. On se dessape. Je découvre que j’ai opté ce matin pour un shorty rouge pétant. Autant vous dire qu’on me voit mieux que le phare d’Alexandrie. Les passants, un peu plus hauts de nous, s’arrêtent pour prendre des photos, pendant que nous nous mouillons chacun à notre manière. Avec un peu de musique, du rap évidemment, mais celui que j’aime, celui de MC Solaar et de Doc Gynéco, on se fait bronzette, on se raconte des histoires… Je ressors l’histoire de la « laide dans la forêt » à « Paulix ». Bref, un espace-temps non définissable. Nous sommes six gars, contents de ne rien faire, d’être face à des chalutiers et d’entendre le claquement des vagues contre les rochers.

La baignade se termine, Paul et Félix doivent récupérer leurs affaires. Ca sent clairement le clap de fin, ils doivent remonter à l’auberge, nous devons attendre Thibault, qui arrive de manière imminente, à la gare de Sète. On se quitte en s’échangeant nos « Facebook » comme des gamins qui se disent adieu en fin de colonie de vacances. Il y a déjà de cette nostalgie, de se dire « on a rencontré des gens supers, est-ce que ce sont les derniers des vacances ? » Je ne l’espère pas, mais nous ne connaissons pas l’avenir.

Thibault, le « fêtard »

Dans les tribunes qui serviront pour les joutes des fêtes de la Saint-Louis, nous jouons à la belote très  sagement, -voire trop calmement, la lenteur des cartes posées m’endort. Le coup de fil de Lucas et l’arrivée quasi-instantanée de Thibault nous rebooste tous. Comme un coup de fouet. Nous sommes repartis de plus belle car le dernier du groupe vient de nous rejoindre. Je présente évidemment Thibault à Loïc qui ne se connaissent pas. Ce petit blond, au sourire de bogoss et au parlé très propre, a terminé son école à Nantes, Audencia. A la rentrée, il part à l’aventure pour quelques mois en Inde. C’est un musicien, Lucas nous l’avait présenté il y a déjà cinq ans. J’ai tout de suite accroché avec Thibault. Lors de l’une de nos premières rencontres, à la fin du baccalauréat, ce fêtard m’avait offert le logis le soir, chez lui, dans le XVIe arrondissement de Paris. Oui messieurs.

Désormais, à cinq, et après s’être acheté à manger, ainsi qu’à boire, nous nous dirigeons à l’auberge. Si nous pouvons faire en sorte que les responsables de l’établissement ne voient pas Thibault, cela nous arrangerait pas mal. En catimini, nous rejoignons donc l’espace camping, où le nouvel arrivant pose ses affaires dans la tente de Lucas. Par contre, on se le dit clairement. Hors de question de passer son temps à le cacher, nous verrons bien s’ils se rendent compte qu’il y a un membre supplémentaire dans l’équipe.

Le « Guada » et la maison abandonnée

Après dîner,  autour de quelques bières, la soirée s’annonce assez tranquille sur la terrasse du restaurant de l’auberge de jeunesse. Alors que l’on pense que, pour une fois, nous allons nous coucher tôt, un gars, avec un t-shirt violet et une drôle de dégaine se pose pas loin de nous. Il s’agit de Steven, un « guada » comme il nous dit. Roulant doucement son joint, le bonhomme nous questionne (comme quasiment la majorité des personnes que l’on a rencontrée) sur l’objet de notre venue à Sète et sur notre parcours depuis le début. Semblant nous trouver sympathiques, il se rapproche un peu plus de nous : « Vous avez aperçu la vue de Sète depuis là-haut ? » Non, pas spécialement, uniquement depuis l’auberge quoi. Je me demande bien ce qu’il va nous proposer. « Vous savez qu’il y a une maison abandonnée, juste au-dessus ? Depuis cette maison, la vue sur l’ensemble de la ville est tout simplement incroyable ! », décrit le fumeur de pétard.

Lucas me regarde : « Ca sent l’Urbex. » Le musicien me souffle ces propos en sachant que c’est une thématique que j’ai abordée sur ma chaîne Youtube. L’Urbex consiste à se rendre dans des lieux, majoritairement urbains, qui sont laissés à l’abandon et où la nature a, en général, repris ses droits. Pour mes vidéos sur mon compte « A not’Sauce Productions », j’étais parti avec un ami journaliste suivre les pas de deux « urbexeurs » lors d’une expédition. Autant vous dire que cette maison non habitée est comme une madeleine de Proust.

Nous suivons Steven hors de l’auberge, en saluant le gardien de nuit, très sympathique et avec qui nous avons rigolé, mais dont j’ai fait le choix de ne pas m’attarder. Ainsi, dans une petite ruelle, un poteau avec une sorte de boite aux lettres sont accolés à un grand muret. « Il faut grimper, et surtout un par un », nous donne-t-il en consignes. De mon côté, mon expérience journalistique auprès de deux pratiquants de l’urbex me donne les outils pour apprendre aux quatre autres les règles de l’Expédition Urbaine : le respect total du lieu, ne rien toucher, ne rien casser, ne pas faire de bruit, ne pas dévoiler l’emplacement exact du lieu, toujours s’assurer qu’il n’y a que nous et ne jamais laisser quelqu’un tout seul. Bref, des petites règles de sécurité pour nous et pour les autres.

De l’autre côté du muret, il n’y a qu’une échelle et nous arrivons directement dans un immense jardin dans lequel ce sont les mauvaises herbes qui ont repris leurs droits. La pelouse n’a pas été taillée depuis longtemps et la vétusté de certaines statues nous confirme que la maison est bel et bien abandonnée, même si nous faisions confiance au « guada ». Tel un guide, il nous ouvre chacune des salles, de la salle de bain à la cuisine en passant par les chambres à coucher. Après avoir un peu fouillé, je découvre des boites de conserve dont les dates de péremption sont de 2010. Conclusion peut-être hâtive, mais je pense que la maison a été laissée dans les années 2000. De plus, selon la disposition de chacune de salles, il se pourrait que cette maison soit une sorte d’auberge ou de gîte, dans lesquels des familles pouvaient loger dans chacune des chambres.

Une vue imprenable…puis le brouillard

Depuis le balcon du second étage, étroit soit-il, je découvre la ville sous un nouvel angle. Une ville lumineuse où l’on peut voir à perte de vue. Les nombreux lampadaires qui retracent le canal de Sète, forment une sorte d’immense boutonnière de chemise, se terminant sur le Port. Un moment assez incroyable que j’immortalise avec mon téléphone portable low-cost. Je m’en veux de n’avoir pas pris de photos pendant ces vacances. Pléthores de moments auraient pu être marquées au fer rouge, en figeant le temps. Tant pis, tout sera et devra être ancré dans notre mémoire.

Steven nous rappelle qu’il a une petite famille, il ne peut pas trop tarder. On quitte ce manoir par le même chemin que nous avions pris au début, un peu plus difficile car il n’y a pas d’échelle de l’autre côté. « Vous savez, il y a le belvédère si vous empruntez ce chemin et ces marches. Moi je me couche, mais c’est le point le plus haut de Sète », laisse en dernier cadeau l’Antillais. Notre goût de l’aventure nous mène forcément à suivre ses conseils. Let’s go ! L’escalade de la montagne se poursuit, malgré les ronchonnements du jeune Belge, Loïc. Au fur et à mesure de notre marche, un épais nuage parvient. « Ca fume, non ? », je m’interroge. « Non, ça ne sent pas », on me répond. C’est de la brume, un brouillard incroyable ne laissant plus qu’entrevoir que nos silhouettes. Un décor hors-du-commun et pourtant si esthétique.

Au sommet de la presqu’île, une croix de plusieurs mètres de haut, avec une multitude d’ampoules autour s’élève au centre d’une petite place censé offrir une vue imprenable de la ville. Ce côté très kitsch du symbole chrétien me fait plus rire qu’autre chose. Un coup de malchance, le nuage de vapeur, bloqué au gland de la montagne, empêche complètement de voir la ville. Déception. En tout cas, nous nous amusons avec ces jeux de lumière et ce brouillard à faire des ombres avec nos corps. Un peu partout, pleins de jeunes semblent s’être donné rendez-vous. C’est un peu le repère des habitués, ils referment bien leur groupe quand on arrive. Halte aux touristes ! Tant pis, nous en avons assez vu aujourd’hui. La tête dans les nuages fait tourner légèrement la tête et fait suer. Pauvre t-shirt ! Je retire le mien pour le préserver.

Il est presque 1h30. On en a assez vu pour ce soir, nos têtes sont gavées de belles images, de tableaux irréalisables et d’instants uniques, qui forgent notre petit groupe, pour la première nuit, au complet. Retrouvant nos tentes, nos passages au lit se font, comme d’habitude, dans le rire, rythmé de « chut, on va réveiller les gens ». Avant de se coucher, on se questionne une dernière fois sur le programme de demain. Que va-t-on faire ? On reste ? On va à la plage ? On quitte Sète pour une autre ville ? Et si on prenait un AirBNB à Montpellier pour être sûr de rencontrer des jeunes de notre âge ? Mais va-t-on passer à côté des Fêtes de Saint-Louis ? Tellement de questions, qui au final, doivent être réglées demain. La nuit porte sommeil…oups… conseil !

Florian Guadalupe

JOUR 3 – A SETE, ON N’EST PAS SORTI DE L’AUBERGE !

 

« Tire-toi Victor, elles arrivent !» Il est tout juste 6 heures du matin. Depuis une demi-heure, une bande de blaireaux provoquent un boucan monstre autour de ma tente. J’entends la voix de trois mecs et celle d’une fille. Revenant d’une soirée plus qu’alcoolisée, ces quatre ahuris investissent une grande tente, séparée d’un ridicule buisson de la nôtre. Je sais qu’à côté de nous, il est censé y avoir deux jeunes demoiselles. Sur le coup, je me dis qu’elles ont trouvé chaussure à leurs pied en boîte de nuit et ont invité des gars chez elles. Mais leurs cris m’empêchent sérieusement de dormir et je sens à travers la tente une forte odeur de tabac.

« Ils ont tout saccagé »

D’un coup, je les entends courir. L’un d’eux met plus de temps que les autres à les rejoindre. A la distance de leur voix, il est certain que ces énergumènes sont aussi nos voisins. L’emplacement « 000 », proche des gens. S’entendent alors des hurlements du côté de la grande tente. « Mais ce n’est pas vrai. Ils ne sont pas sérieux ! Ils ont enlevé toutes les sardines ! Et ils faisaient quoi dans notre tente ? », s’emporte une voix féminine. Je sens des pieds frôlés la toile de ma tente et une dispute éclate. Je vous rappelle qu’il est 6 heures du matin et que nous nous sommes couchés, à peine deux heures avant.

D’autres voix s’élèvent autour de notre campement et je me souviens que ma tente ne m’appartient pas à moi, mais à mon frère. Jetant un coup d’œil sur Loïc qui dort comme sur un matelas Bultex,  je mets un t-shirt et un short, puis je sors dehors. Là, je vois un gars se faire enguirlander par un voisin dont je ne connaissais pas la localisation dans le camping. « Ce n’est pas nous, on revient de la plage, touche mes cheveux », me baratine le bonhomme, alors que je reconnais parfaitement sa voix qui rendrait fière l’accent chti. Terriblement fatigué, je lui propose de se taire et d’aller se coucher. Les filles viennent de finir de remettre leurs sardines.
« Ils ont tout saccagé, ils ont fumé dans la tente. C’est n’importe quoi !
C’est ça de rentrer tard, j’ironise pour détendre l’atmosphère très tendue.
On était juste parti se laver les dents ! »

Bon, même si le brossage des quenottes m’a semblé bien long, elles me font de la peine. Voyant plein de gens débarqués pour les aider à ranger leurs affaires et puisque rien n’a été volé, je retourne dans ma tente, espérant grappiller quelques dizaines de minutes avant le réveil prévu à 8 heures. Mais énervez des filles, elles ne dormiront plus ! Malgré le soleil qui se lève à peine, les deux voisines font le choix d’élever la voix pendant plus d’une heure et demie, se plaignant de ce qu’il leur est arrivé. De nombreux gars viennent les accoster… A croire qu’elles l’ont fait exprès : « C’est drôle, on a rencontré personne pendant une semaine, et là, pleins de gens nous parlent. » Trois Marseillais leur proposent même de prendre « l’apéro ». Je ne dors plus. J’ai mal aux yeux et il est 7 heures et demi passé.

Rose

Je me lève, je n’aurais pas réussi à me rendormir. Dans les toilettes du camping, aussi sales que laides, je rafraîchis mon visage à l’aide d’un peu d’eau, avant de remettre mes lunettes de soleil sur le nez, afin de cacher et préserver mes yeux, plus que cernés. Un coup de pied dans chaque tente pour réveiller les copains, il est l’heure de se préparer à quitter ce lieu maudit. Au ralenti, chacun de nous range ses affaires, son sac à dos et sa tente. Nous déposons délicatement tous nos détritus face à l’emplacement des voisins, qui ont aussi réveillé Lucas et Léo, mais pas Loïc. Il est presque 9 heures, on s’engage désormais à quitter ce lieu, sans plus aucun regret. D’ailleurs, en sortant je ne me gêne pas d’indiquer à la sécurité l’incident de ce matin. Je croise les deux voisines dépitées, qui attendent je ne sais quoi sur un banc. Elles m’ont aussi pourri la nuit, leur avenir ne m’intéressent pas.

Prenons la direction de la gare d’Agde ! Comme à l’aller, il faut emprunter un bus (toujours un euro le ticket). Etant tous encore lessivé de la nuit dernière, on s’assoit chacun à l’arrière avec une place vide, pour allonger nos pieds. Je me mets le plus au fond du car, Léo et Loïc sont devant moi et Lucas est à ma droite. Alors que mes paupières commencent à peine à se fermer, une petite fille avec deux tresses s’installe juste à côté de moi. Elle me gêne un peu, mais ne fait rien de mal, elle joue sur sa tablette à Temple Run, un jeu où un personnage court pour éviter un monstre, un peu nous avec le Cap d’Agde. « Est-ce que tu connais ce jeu ? », me glisse-t-elle doucement, sans être intimidée. J’incline la tête vers le bas et je lui chuchote un petit oui, un peu surpris qu’elle m’adresse la parole. Très confiante, elle démarre une discussion sérieuse sur son jeu, puis sur ses vacances. Elle s’appelle Rose, n’a même pas encore neuf ans et est venue au Cap d’Agde avec sa mamie, qui lui a dit de se mettre au fond avec nous, car elle ne peut pas aller jusqu’à l’arrière du bus. L’écolière me raconte ses vacances, mais aussi sa vision des choses, de la vie, des garçons, comment elle est perçue dans la cour de récré. « C’est trop XXe siècle », me balance-t-elle à plein nez à chaque fois que je n’utilise pas une expression de jeunes.

Rose poursuit avec quelques blagues, auxquelles je réponds, puis les gars autour aussi. Ce sont des rires en chœur que nous échangeons avec cette toute petite fille d’origine portugaise, (à la base, elle me prend pour un Portugais) que je trouve très mature pour son jeune âge. « Vous allez arrêter de lui parler et de vous moquer d’elle sinon je vais vraiment m’énerver. Vous l’embêtez depuis tout à l’heure, je vous voit, moi aussi je peux vous embêter », s’emporte un homme à la veine excitée sur le front, situé devant Léo. Ce « malabar » (« trop XXe siècle ») sorti de nulle part ne connaît aucunement Rose. D’ailleurs, elle lui répond dans la foulée : « Il veut quoi ce débile, ma mamie m’a dit que je peux leur parler et je fais ce que je veux. » Il fait mine de n’avoir rien entendu, je me retiens de rire. Nous ne lui répondons rien d’autre, mais les éléments de ma team préfèrent stopper la discussion avec la demoiselle. A côté de moi, elle continue à parler, parler, parler, parler. Fan de judo, karaté, kayak, football, elle se révèle aussi être une magicienne. Avant d’arriver à la gare, elle me fait quelques tours avec des cartes à jouer et des élastiques. En quittant le bus, la mamie me demande si elle ne m’a pas « trop embêté ». Ironique, non ?

Retour à la galère

Sur les tableaux électroniques de la gare, tous les trains sont annoncés avec un quart d’heure de retard. Comme hier, nous optons pour la fraude dans le train, qui, en plus, ne doit faire qu’une seule et unique station pour Sète. Mais la chance ne nous sourit pas cette fois-ci, des contrôleurs débarquent dans chaque grand wagon, muni de leur machine à composter. A peu près 11 euros. C’est le prix pour s’évader du Cap d’Agde et relancer la dynamique de nos vacances. Je mens tout de même au contrôleur pour l’attendrir : « On a eu du pot que le train soit en retard, car on a couru jusqu’à la gare. » Cela n’aura eu aucun effet, mais à travers la fenêtre, je perçois l’étang de Thau, avec plusieurs petites maisons sur pilotis. C’est un nouvel univers que nous découvrons.

Déambulant en dehors de la gare de Sète, nous redémarrons notre rituel classique : recherche de l’office de tourisme, du lieu d’hébergement et d’un espace où se nourrir pas chère. Grande surprise dès le commencement, un papi arrête sa voiture, chargé de vieux meubles à l’arrière, pour nous demander si nous voulons de l’aide pour nous repérer dans la ville. Il est loin le temps des mamies insultantes et des feux rouges klaxonnés d’Agde. Sur toute la route, de la gare à l’office de tourisme, les passants nous guident, nous aiguillent et nous conseillent. A l’office de tourisme, la liste des campings du coin est la priorité. Une vingtaine est accessible en bus depuis notre endroit. Le fonctionnaire de Sète me montre aussi les hôtels et me conseille de rester au moins jusqu’à jeudi, début des Fêtes Saint-Louis. Il m’explique que c’est une sorte de férias du coin, avec des joutes nautiques (des combats entre deux personnes, armées d’une lance et propulsées par un bateau à rames) et des bodegas le soir. Lucas prend la carte des bus, qui relient la ville de Sète aux douze kilomètres de plage, jusqu’à Marseillan Plage. Il est midi passé, appeler tout de suite les campings ne servira à rien, ils mangent tous à cette heure-ci.

Un Franprix et un Monop’ ne sont pas loin et nous faisons quelques courses pour le déjeuner. Lucas propose un repas simple à faire et pas trop dépensier : des hotdogs froids. Avec un petit pain au lait, du fromage râpé, une saucisse froide et un peu de moutarde, le tour est joué. Bon, ce n’est pas de la grande gastronomie, mais le repas colle plutôt bien à notre trip pour le moment. Nous nous asseyons sur une place, dans laquelle une statue d’immense poulpe trône au centre. Des mouches nous attaquent pendant tout le temps que nous mangeons, me faisant tomber de la moutarde sur ma chaussure et sur le sac de Lucas. Je découvre ainsi que la sauce tâche (et non pas la mousse tâche). Une petite mamie, habillée tout en blanc, nous interpelle pour nous raconter sa vie. D’habitude très sociables, notre fatigue ajoutée à l’absence d’hébergement fait en sorte que nous essayons d’esquiver la discussion. Elle disparaît comme un éclair et part discuter avec d’autres personnes, lorsque je lui demande si elle a un jardin où nous pouvons planter nos tentes. La bonne stratégie.

Auberge In

Vient enfin l’heure d’appeler les campings pour connaître les emplacements disponibles. La moitié nous répond comme d’habitude, « complet », et l’autre moitié nous fait sonner dans le vide.  Il faut se bouger et ce serait dommage de ne rien trouver, alors que la ville semble « charmante ». Sans réelle conviction, l’équipe se dirige vers l’arrêt de bus le plus proche afin de se rendre directement dans les campings proche des plages, qui n’ont pas décroché, priant qu’ils leur restent des places. Patientant que le car, ce coup-ci à 1€50, arrive, trois hommes d’origine maghrébine et la banane au visage, interviennent dans notre groupe. « Vous cherchez un camping ? Allez à l’auberge de jeunesse, il y a des emplacements, c’est pas cher et vous avez le petit-déjeuner », m’assure le plus grand du trio. Après mûre réflexion, c’est certainement la solution la plus intéressante, la moins coûteuse et surtout le plus sûr pour la suite du voyage.

Il faut savoir que la ville de Sète ressemble à une île, avec une grande montagne au centre, signifiant qu’une partie des maisons et des immeubles est en pente. L’auberge de jeunesse se trouve quasiment au sommet de la ville, nous devons grimper, avec la fatigue accumulée, les sacs et les tentes sur le dos et le soleil d’été qui frappe sur nos fronts. Je ralentis ma marche pour Loïc, pour qui chaque pas est un calvaire, alors que Lucas et Léo foncent tête baissée pour s’assurer de la disponibilité de places. Mon téléphone sonne, Lucas est déjà sur place. Il m’annonce la nouvelle par téléphone : il y a de la place pour nous. Je pousse Loïc pour se dépêcher d’arriver enfin à notre hébergement. En entrant dans l’établissement, on découvre en montant les escaliers pleins de petits gîtes, puis un petit terrain avec une table de ping-pong. Enfin, on arrive à ce qui s’apparente être l’accueil, avec un petit restaurant et une grande salle, qui fait office de micro-bibliothèque. Sarah, une salariée de l’auberge, un peu à l’ouest mais très sympathique, nous accueille hors de ses heures de service et nous laisse installer nos tentes. Elle nous prévient que nous devrons attendre 16 heures et l’arrivée de Sonia pour nous enregistrer officiellement dans l’auberge.

Même si nous étions fatigués, nous attendons près de la table de ping-pong la fameuse Sonia. Après quelques échanges de raquettes, deux jeunes gars viennent subitement nous parler, Félix et Paul. Très succinctement, nous racontons notre épopée, eux nous expliquent qu’ils ont participé au « Demi Festival », une énorme scène au Théâtre de la mer de Sète, avec pleins d’artistes du monde du rap, dont entre autres la participation de Kerry James. Etudiants de 19 ans, ils doivent retourner à Angers demain en fin d’après-midi et ont pris une chambre à l’auberge juste pour une nuit (ils étaient en AirBnB la semaine).

Les réfugiés du sommeil

Sonia arrivée, nous nous enregistrons et nous pouvons enfin respirer, c’est une épine retirée du pied… Nos téléphones n’ont déjà plus de batterie, nous les rechargeons tranquillement dans l’une des salles de l’auberge de jeunesse. Lucas, Léo et Loïc se reposent tous les trois sur un canapé, sur lequel il ne reste aucune place pour moi. Je me mets à l’autre bout de la salle, près d’une prise où mes deux smartphones reprennent de l’énergie. L’attente fait que nos yeux s’assoupissent de plus en plus. Je vois les copains s’enfoncer de plus en plus dans ce canapé, digne de celui de la série « Bloqués ».  Je tente aussi de trouver une position agréable avec des chaises pour faire une sieste, puis me vient une idée peu sexy. Je retire mes chaussures, je les colle ensemble, je m’allonge sur le carrelage la tête sur mes lacets et je ferme les yeux. Il n’y a aucun bruit, personne ne passe dans la salle. L’auberge étant située en haut de Sète, aucune voiture ne vient nous gêner. N’oublions pas que nous n’avions quasiment pas dormi depuis deux jours, à Narbonne, j’ai fait quatre heures de sommeil et Lucas et Léo, certainement aucune. Au Cap d’ Agde, l’évènement de ce matin ne m’a laissé que deux heures de calme. En deux jours, je n’ai dormi que six heures. Cela accumulé avec la chaleur et la fatigue de l’alcool bu, nos corps ne peuvent plus  bouger. Nous sommes comme des corps inanimés et figés après l’explosion du Vésuve. Et pourtant, je suis certain que d’un œil extérieur, nous sommes semblables à des réfugiés dans une jungle.

« Oh la la la, mais ils sont  très drôles eux, je pense que je vais bien rigoler ». Une voix m’expulse de mon sommeil et me ramène à ma condition initiale de jeune Clichois allongé à terre sur ses chaussures. C’est Sonia qui fait visiter les locaux à de nouveaux arrivants : « Ne vous inquiétez, vous n’allez pas dormir comme eux. On a de vrais lits quand même. » Entre rire et honte, nous nous levons petit à petit et décidons d’aller en ville, pour acheter le repas de ce soir. Le trajet est simple sur le papier, car nous savons où se trouve le Monop’, il est compliqué sur le terrain car il faut redescendre pour ensuite remonter des affaires plein les bras. Au dîner, ce soir, des pâtes avec une sauce tomate simple, ça va changer des raviolis…à la sauce tomate d’hier soir. En apéro, nous buvons enfin la bouteille de pastis, que nous avions acheté pour la bande des six d’Agde. Assis autour d’une table, face à la ville de Sète, dont la vue est renversante depuis notre spot, nous avons ce sentiment de satisfaction d’une journée réussie.

L’enfant sauvage

Un enfant nous intrigue depuis le début du repas. Le petit blond, vêtu d’un t-shirt bleu plein de boue, tape avec un morceau de bois sur les escaliers, comme un batteur qui répète. Le garçon, par l’odeur alléché, se rapproche de notre casserole. Face à nous, sans dire aucun mot, il commence à manger un morceau de son bout de bois. Je me tourne vers Léo : « Mais qui est cet enfant sauvage ? ». On rigole un peu, mais ce gamin, qui a une bonne petite bouille, nous intrigue réellement. S’approchant de Lucas, qui fait toujours office de cuistot lors de nos voyages, il ramasse les petites pâtes qui sont tombées sur la table, puis lance sa main, sale, dans la casserole pour en avoir plus. D’un réflexe de samouraï, le contrebassiste empêche « Moogli » de toucher à notre repas. « Tu veux des pâtes, tu nous demandes, on t’en donne », lui propose-t-on. Il nous fixe de ses yeux écarquillés, puis relance son bras en direction de la casserole pour retenter son coup. Lucas prend un verre en plastique, c’est ce qui nous fait office d’assiette, et lui sert quelques pâtes. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le repas sort tout juste du feu et est affreusement chaud. L’enfant part la tête la première pour manger les pâtes, comme un cul sec de vodka. Il lâche un petit cri et grimace car il s’est brûlé. La patronne de l’auberge de jeunesse passe juste à côté : « Ne vous inquiétez pas, c’est un petit autiste. Il n’est pas méchant et comprend tout ce qu’on lui dit, simplement il ne parle pas. » Ceci explique cela. Ce que nous ne comprenons pas, c’est que ses parents puissent le laisser seul ainsi. Par la suite, ils viennent le récupérer, lui demandent où il a trouvé ses pâtes et l’amènent manger au restaurant de l’auberge. Nous ne disons rien et terminons paisiblement de manger, après cette intervention, au final, plus mignonne qu’autre chose.

La soirée se poursuit avec Félix et Paul, les deux angevins, autour de notre table, où nous discutons de tout et n’importe quoi, que ça aille des études à la stratégie géopolitique de Daesh. Les gars ont passé la semaine sur Sète et connaissent les coins sympas pour sortir, notamment le bord de mer, près du Théâtre de la mer où leur festival a eu lieu. Tous les six, nous nous arrêtons dans une épicerie du centre-ville pour acheter des packs de bière. Vous connaissez tous cette situation au moment de se payer de l’alcool à plusieurs. On prend du temps, il faut que ça plaise à tout le monde, que ça entre dans les frais de chacun et que l’ensemble soit pratique à déplacer. En sortant, on nous conseille de dissimuler dans des sacs à dos ou sous nos vestes les bouteilles, la police ne rigole pas avec la consommation d’alcool dans la rue.

L’anecdote de la « laide dans la forêt »

Après plus d’une quinzaine de minutes de marche à pied, nous sommes face à la mer, assis sur d’énormes blocs de pierre, dont certains sont tagués. Des nuages remplissent en grande partie le ciel, mais un étroit espace permet de laisser traverser la lumière de la lune qui se reflète sur l’eau. Un spectacle. Dans ce décor paradisiaque, nos nouveaux amis s’ouvrent un peu plus à nous. Afin de préserver son identité, je ne cite pas lequel des deux va me raconter l’anecdote qui va suivre. Ce qui est essentiel à savoir, c’est qu’elle va tellement me marquer, et me faire rire, que je lui ressors cette vanne de nombreuses de fois par la suite. Donc, « Paulix » nous narre une histoire dont il a un peu honte : « C’était il y a quelques années, on était tous les deux, puis on a rencontré un groupe de filles. J’avais beaucoup bu, je ne sais pas trop si je me rendais compte de ce que je faisais. En fin de soirée, la fille la plus laide, – qui était aussi la plus grosse du groupe me propose qu’on se rapproche de la forêt. Moi, je n’ai pas trop compris. On a commencé à discuter en fumant une clope, puis là, ça a dégénéré. Elle s’est agenouillée(…) Tout s’est passé si vite, le lendemain, ils se sont tous foutus de moi. » Vous comprendrez que je n’écris pas « 50 nuances de Grey », je vous laisse comprendre ce qu’il s’est passé dans mes parenthèses et mes points de suspension. Sur le moment, après cette histoire, nous entrons tous dans un fou rire général. Nous ne savons même plus pour quelle raison « Paulix » nous parle de ça, mais le ton de narrateur sérieux, couplé au sentiment de gêne dans sa voix, fait son effet et transforme son récit en énorme comique de situation.

Les bières sont quasiment toutes consommées et Paul et Félix tombent sur des festivaliers, comme eux, à quelques rochers de nous. Nos deux camarades les rejoignent, tandis que nous, nous préférons rentrer à l’auberge. Même avec la petite sieste de l’après-midi d’une demi-heure, nous sommes encore très épuisés. Avant que l’on parte, Paul nous propose de louer demain un bateau, puisqu’il a son permis de navigateur. Tous d’accord, nous nous quittons ce soir pour mieux se retrouver demain, et affronter les terreurs de la Méditerranée ! A l’auberge, nous tombons comme des mouches dans nos tentes, après un brossage de dents obligatoire de trois minutes, comme chaque jour. Mon réveil est à 9h50 spécialement pour ne pas rater le petit-déjeuner qui se termine à 10h. Ce coup-ci, il n’y aura pas de Sonia qui me freinera dans mon sommeil, je suis dans mon duvet, satisfait de la ville de Sète, qui m’a ravi pour le moment. Faîtes que demain soit rempli d’autant de péripéties, surtout que Thibault, notre cinquième élément doit se ramener.

JOUR 2 – LE CAP D’AGDE, LE ROYAUME DU KEKE – CARNET DE VOYAGE 2016

Il est huit heures, le réveil de mon téléphone sonne dans la chambre 14 de l’Hôtel de Paris. Loïc dort encore sur ma gauche, nous sommes fesses à fesses dans ce lit à priori à une place. Un moustique vole depuis quelques heures au-dessus de ma tête. Il est bel et bien le temps de me lever et d’aller rejoindre Lucas et Léo, qui attendent non loin de notre lieu d’hébergement, près de l’office de tourisme et du long canal qui traverse le centre de Narbonne.

En quittant notre minuscule logement, nous jetons un dernier coup d’œil dans chaque coin de la pièce afin de ne rien oublier. Je sais très bien que je ne reviendrai jamais ici, ce n’est pas le moment d’oublier une pièce d’identité, un téléphone ou un porte-feuille. Le moment fatidique de rendre les clés et de recroiser Alfred doit avoir lieu. Le quasi-hobbit est en plein ménage des chambres. Etant donné qu’il est seul à tenir l’hôtel, il doit aussi s’occuper lui-même du ménage.
« Bonjour, on vous ramène les clés… On est encore désolés pour hier soir.
Ok, ok. Bon voyage, me souffle-t-il, faisant mine d’être pressé et attrapant le petit trousseau de clés tel Passe-Partout en fin d’épreuve de Fort Boyard sur France 2. »
Je m’attendais quand même à ce qu’il nous fasse la morale et qu’il rouspète par rapport à notre comportement de cette nuit. Au contraire, il est d’un calme absolu. J’en profite : « Vous n’auriez pas vu un petit chapelet par hasard ?
Oui, j’en ai vu un.
C’est le mien ! Vous pourriez me le rendre ?
Je l’ai trouvé dans la chambre d’un client qui est parti ce matin. Qui me dit que c’est réellement le vôtre ?
Je vous jure. C’est une petite croix avec écrit « Jérusalem » dessus avec un mini-collier de boules en bois. Ça ne peut être que le mien. »
Il soupire, pose les draps blancs qu’il tenait de son bras gauche et retourne dans le couloir dont il vient. Miracle ! Il me ramène mon petit porte-bonheur que Blanche avait tant bien que mal cherché pendant une partie de la soirée. Ca y est, on est de nouveau en marche pour la suite de l’aventure.

Lucas et Léo nous attendent adossés sur un muret donnant directement sur les berges. Nos retrouvailles se font de manière express, un train nous attend à la gare et nous n’avons que très peu de temps pour être sûr d’avoir un camping à notre prochaine destination, Agde. Je présente à Loïc mes deux potes d’enfance. Lucas est musicien, il joue de la contrebasse. A la rentrée, le barbu à lunettes s’envole pour Amsterdam où il poursuit ses études dans un conservatoire international. Quant à Léo, il erre de projets en projets depuis déjà trois ans : une licence d’arts à l’Université de Saint-Denis arrêtée trop tôt, un service civique à l’INSEP abandonnée et une année tout simplement avortée. En septembre, le jeune blond et bouclé reprend du poil de la bête, puisqu’il est censé commencer un CAP « projectionniste ».

« On n’a pas le choix »

A la gare de Narbonne, on fait le choix unanime de ne pas payer de billets dans le TER. Il ne doit pas y avoir beaucoup de contrôleurs l’été, et surtout pour deux stations. Coup de poker réussi. Les quatre fantastiques débarquent dans la ville dite « des naturistes », sans payer un seul sou. Ne nous jugez pas, il n’y a pas de petites économies. En sortant de la gare d’Agde, l’atmosphère semble d’un coup étrange, et surtout très tendue ! En effet, en traversant un pont, une grand-mère (dont j’estimerais l’âge aux alentours de 80 balais) insulte de « sale pute » et de « connasse » une cycliste qui…roule sur un passage pour vélo. Un autre homme engueule un grand-père qui lui aurait coupé la route sur le trottoir. A un feu rouge, une voiture se fait klaxonner…car elle attend que le feu passe au vert. Oui, bienvenue à Agde. Nous ne sommes pas encore prêts apparemment.

Après avoir fait un tour classique à l’office de tourisme pour se dégoter des cartes et des numéros de téléphone de campings, nous attendons trente minutes un bus. Et oui, nous sommes un dimanche et le dimanche il y a moins de bus. Le soleil tape déjà fort et l’abribus ne nous fait pas d’ombres. Nous sommes « quatre connards dans un abribus ». Une fois dans le car, j’enclenche ma première série d’appels en quêtes d’emplacements de tente. Et là, au fur et à mesure des appels, toujours la même réponse : complet, complet, complet. Même le camping qui m’avait laissé croire hier une possibilité me dit non. Il me reste un lieu que je n’avais pas appelé : La Clape. Théa m’en avait parlé au téléphone, il est proche de la mer, mais coûte assez cher. Miracle ! Après cinq appels qui coupent car les lignes sont occupées, je tombe sur un standardiste. Il reste un emplacement, mais il faut se hâter.

A peine descendu du bus, s’ensuit une course à la « Pékin Express » pour trouver le lieu-dit et pouvoir enfin souffler. On y est, on entre dans l’accueil où l’on doit faire la queue. Devant une salariée, je lui explique la situation. La jeune fille au style gothique des années collèges checke dans son logiciel : « Il nous reste un emplacement tente. Un collègue va vous y amener et vous nous direz si vous le prenez. » En soi, nous n’avons pas trop le choix. Si c’est un emplacement pour deux tentes, c’est suffisant. Un jeune employé de « La Clape », aux airs de geek, vient nous chercher dans une petite voiture. Comme celle de « Camping Paradis » sur TF1. Il nous présente l’emplacement « 000 ». Un bout de terre avec des restes de capsules de bières, accessible uniquement en passant par d’autres emplacements et sans aucune ombre.
« Vous le prenez ?
On n’a pas le choix. »

Des kékés, une méduse et de l’indice 20

Ca y est. On a payé pour planter nos tentes dans un coin pourrave. Le seul avantage de « La Clape » est sa localisation, on est à deux pas du centre-ville du Cap d’Agde et tout proche de la plage. Il est déjà l’heure de déjeuner et nous partons à la recherche d’un supermarché pour acheter quelques vivres. Dans le centre, j’ai compris le sens de la phrase d’Orelsan dans « Le Chant des Sirènes », quand il nomme le Cap d’Agde, la « chatte du diable ». Toutes les rues sont remplies de touristes ou de dites « cailleras » de Paris, Lyon ou Marseille. Juste cette impression de jouer dans le film « Les Kaïras » de Franck Gastambide. D’ailleurs, son dernier film, « Pattaya », a pris tout un sens au Cap d’Agde. De nombreux magasins s’appellent du même nom que le long-métrage et la moitié des boutiques vend des maillots de football de l’équipe de la Thaïlande (On en voit de plus en plus dans les cités, ils sont fluo). Pour nous, le repas ne sera pas « kebab » ou autre fast-food, mais des petites salades achetées au Spar « deluxe ». Sauf Loïc qui opte pour une boite de raviolis froide. Les goûts et les couleurs.

Il est enfin l’heure. L’heure de la plage. L’heure du sable. L’heure des maillots de bain. L’heure de se poser et simplement profiter du soleil. L’heure que l’on attend depuis le début de notre trip. Non loin du camping, la mer nous tend les bras. On choisit une belle petite place où déposer nos « essuies » (comme dirait Loïc), parmi les centaines d’autres serviettes. Comme d’habitude, on se tartine de crème, enfin surtout les autres. Ma peau légèrement mâte m’offre la chance de ne m’appliquer qu’une huile solaire indice 20.
Et plouf ! Dans l’eau ! Bien qu’elle soit plus froide que la mer catalane, la sensation de nos corps flottant au ras des vagues est l’une des plus agréables sur le moment. Nous avions sué lors de tout ce début de périple. Certains d’entre nous ne s’étaient pas lavés depuis Paris. Cette trempette dans la Méditerranée est l’une des plus belles récompenses. Alors, oui, il y a des « kékés » partout autour de nous. Oui, il y a des gamins qui nous poussent avec leurs grosses bouées. Mais nous sommes bien, tout simplement. Et contrairement aux clichés du Cap d’Agde (que nous avons certes en parti confirmé), nous ne sommes pas tombés nez à nez avec des naturistes. Les nudistes ont leur propre plage bien plus loin et nous n’avons pas particulièrement très envie d’y aller. Nous sommes pudiques.

Après la baignade, place au repos, Léo se prélasse tout doucement sur sa serviette, laissant peu à peu disparaître son tatouage de calamar (ou pieuvre, c’est subtil) dans son dos, signe d’une longue sieste. Loïc branche ses baffles et ambiance notre emplacement « serviette », tandis que Lucas essaie de dormir, positionnant stratégiquement son t-shirt sur son visage. Pendant ce temps, moi, je cherche le sommeil, mais impossible. Un bruit, une lumière, tout m’empêche de dormir. Il faut savoir qu’en tente, je dors avec un masque de nuit tellement la moindre lueur peut me perturber. J’aperçois au loin un attroupement de personnes près du bord de l’eau. Journaliste dans l’âme (et surtout trop curieux), je me lève pour en savoir plus. Un amas de touristes, jeunes comme vieux, est fasciné autour d’une énorme méduse morte, échouée sur le sable. Certains lui balancent du sable dessus, d’autres se questionnent si elle est encore vivante. Un père hurle après son fils qui se baigne, car selon lui, c’est un signe que d’autres bêtes de ce type arrivent. Personnellement, je suis assez déçu, je ne voyais qu’un gros tas blanc rosé dégoutant et loin d’être passionnant.

L’apéro arosé

Retournant près de ma serviette, j’aperçois un groupe de jeunes sur un terrain de beach-volley. Je propose à Lucas et Loïc d’aller jouer avec eux. Léo est évidemment dans les bras de Morphée et le volley-ball n’est pas sa tasse de thé. Entre le filet, cinq gars s’envoient la balle, pas toujours selon les règles officielles du sport, mais dans une bonne humeur. Ils acceptent avec joie que l’on se mêle à eux. Très vite, on se rend compte qu’ils sont tout aussi forts que nous, c’est-à-dire pas du tout. Mais peu importe, on passe presque plus de temps à rire qu’à réellement smasher. A vrai dire, ce groupe de gars, qui est accompagné d’un sixième larron refusant la partie, n’a pas trop le profil de « kékés ». Au bout d’un certain temps, le sable commence à nous cramer le dessous des pieds et nous stoppons le jeu pour un saut illico dans la mer. Avant de se quitter, Alex, l’un d’eux, nous propose de boire l’apéro dans leur mobile-home…qui se trouve être dans notre camping. L’emplacement 354 (ou 534).

Après cet après-midi à la « playa » et le réveil de Léo, nous repartons au camping pour une petite douche et pensons déjà au dîner de ce soir. L’aiguille de la montre tourne si vite. Lucas, Léo, Loïc et moi retournons en ville acheter à manger, cette fois-ci, non pas dans le centre-ville mais dans un magasin plus grand et moins cher que le Spar « deluxe » sur lequel nous étions tombés plus tôt. Après une demi-heure de marche, nous faisons les courses. La caissière se moque de la marque du pastis que nous achetons (la moins chère, vous l’auriez deviné). Ce soir, on va déguster…des raviolis, super ! Souhaitant boire de l’eau fraiche, avec Lucas, je fais le tour du camping, nous ne tombons que sur de l’eau chaude dans les toilettes. Un enfer je vous dis. Après réflexion, je propose à Lucas qu’on aille récupérer l’eau froide du robinet du mobil-home 354. Les six garçons nous voient débarquer avec nos bouteilles vides à la main, le sourire au coin des lèvres. Expliquant notre situation, ils acceptent et nous rappellent de venir ensuite pour l’apéro. Toujours cet apéro.

Notre festin à la sauce tomate englouti, on se prépare dans nos tentes pour la soirée qui nous attend. Nous n’avons que quelques bières et un générique du « Ricard » en possession. Surtout nos téléphones sont tous déchargés. Ainsi, nous (re)débarquons à l’emplacement 354, les chargeurs en main, interrompant une partie de pétanque des six vacanciers. J’avais repéré une multiprise lors de ma chasse à l’eau. Même si l’on ne veut pas abuser de leur hospitalité, l’électricité pour nos téléphones est nécessaire pour la suite de notre aventure. Après un accueil très chaleureux, nous avons un peu honte d’avoir apporté si peu de consommations en alcool mais il semble que ce ne soit pas un problème.

« On n’est pas des Apollon »

Le groupe de potes vient de Lyon, ils sont tous des étudiants en école d’ingénieurs. Ils étaient déjà venus au même camping l’an passé et en avaient gardé plutôt un bon souvenir. Je sympathise particulièrement avec Alex, un beau gosse blond, un peu le « cheftaine » de l’équipe. Quand il parle, les autres écoutent, toujours dans le bon sens des choses. Sa copine vient de partir il y a quelques heures et il est prêt à faire la fête. Autre membre fort de leur bande, Caron, une grande voix qui ne s’arrête jamais de lancer des blagues. Il répond souvent à Sylvain, le membre « fou » du groupe. Parfois un peu borderline, c’est la caution « WTF » de leurs vacances. Avec une dent cassée, il pratique de manière officielle le sport de trampoline. Pendant la soirée, il s’amuse à talquer tout ce qu’il voit, dont Lucas et un autre Lyonnais, « Djerb ». Ce dernier, à l’origine prénommé Thomas, est un peu plus réservé et s’occupe de faire à manger et d’apporter à boire quand les verres sont vides. Un autre Thomas, surnommé à certaines reprises « La Tata », fait partie de leur aventure. Plus timide, il s’est avéré très fort lors du match de beach-volley. Enfin, il y a « L’Ancien », appelé ainsi par Léo. Je ne me souviens pas de son prénom (j’ai honte), mais je discute plusieurs fois avec ce petit barbu brun à lunette dans la soirée.

Contrairement à nous, ils ont préparé avec minutie leur voyage. Alex me sort un grand classeur, où, par page excel, décrit chaque dépense autorisée par jour, en nourriture, en boite de nuit, en casino et en alcool. Dans leur bungalow, les boissons coulent à flots : fûts de bières, vodka, wiskhy, pastis, etc. Notre petite bouteille n’a pas fière allure à côté d’elles. Tout au long de la soirée, nous jouons à des jeux d’alcool, mettons de la musique et finissons même par reproduire les traditions de beuverie d’écoles d’ingénieurs. A tour de rôle, nous montons sur le capot de la voiture pour boire une bouteille au goulot de vodka et d’un coupant soft. La soirée est complètement folle, alors que nous n’avions pas trop dormi. Vers 23 heures, Alex me susurre à l’oreille. Il aimerait que je l’accompagne chez les voisines afin qu’elles nous rejoignent, avant de partir en boîte de nuit avec nous, ajoutant ne pas « être un Apollon ». L’alcool a agi déjà sur lui.

Il est vrai que les six gars nous ont proposé de les suivre en boîte de nuit. Mon équipe n’est pas spécialement fan des discothèques, mais nous ne pouvons pas décliner leur invitation. Au Cap d’Agde, il existe deux lieux où faire la fête le soir, le Bora et l’Amnesia. Théa, que j’avais appelé la veille, travaille dans le premier. Toute la soirée, j’essaye d’échanger avec elle par texto, mais je comprends très vite qu’il va être difficile de faire entrer autant de mecs, et surtout qu’en week-end du 15 août, les boîtes de nuit vont être bondées.

Je sais donc que l’accès ce soir sera impossible dans les deux boîtes de nuit. Toutefois, je garde cette information pour moi et décide d’accompagner Alex chez les voisines. En réalité, je ne dis qu’à peine « bonsoir », Alex fait le plus gros du travail. Seul mon argument du « On a de l’alcool chez nous » peut jouer en notre faveur. Ce que les filles ignorent, ce sont les huit autres gars qui se cachent sur la terrasse du mobil-home 354. Lorsqu’elles débarquent autour de la table, pleine de cartes à jouer, de bouteilles vides et de déchets alimentaires, je perçois très vite dans leurs yeux leur envie de faire demi-tour. Cependant, Alex arrive à récupérer le numéro de l’une d’entre elles pour rester en contact dans la soirée. Nous leur proposons de mixer les gars avec les filles pour optimiser les chances d’entrer en boîte. Les gars ont l’argent, les filles ont…leur physique. Triste à dire.

Coup de poker

Comptant prendre un taxi, les filles partent en première en direction des boîtes de nuit, qui se trouvent, quand même, à plusieurs kilomètres du camping. Les six mecs comptent faire de même, mais plus aucun véhicule n’est disponible…avant deux heures du matin. Lucas, Loïc, Léo et ma personne décidons de base d’y aller à pied s’il fallait les rejoindre. Nous n’avons pas les mêmes moyens disons. En grande équipe de dix (presque assez pour faire un foot), nous marchons pas à pas, traversant le port du Cap d’Agde et son parc d’attractions. Sans surprise, les queues pour entrer au Bora ou à l’Amnésia sont trente fois plus longues que celle de La Poste. Alex me glisse qu’une des filles de tout à l’heure lui propose uniquement de les rejoindre. Elles sont dans la file d’attente. Il choisit évidemment de rester avec ses potes et dans un choix collectif, ils décident d’aller jouer au casino. Nous les suivons.

C’est une première pour moi, je n’y ai jamais mis les pieds. Je n’aime pas spécialement les jeux de hasard, ni les jeux d’argent (excepté quelques paris sportifs lors des Coupes du monde ou des Euros de football). L’entrée est gratuite, ça me va. De l’eau pétillante est à disposition gratuitement, je suis aux anges. Alex me donne son verre gin vodka, que je lui rends assez rapidement, je n’ai plus la tête à l’alcool. Caron et Sylvain surveillent les tables de Black Jack, avant de poser leurs billets. Djerb, La Tata et L’Ancien restent plus à l’écart, sur des fauteuils, patientant presque en silence. La soirée commence à tourner en rond et nos yeux se fatiguent. Nous décidons de les quitter, au moment où Alex me suggère d’aller en boite plus tard dans la nuit, sauf qu’il est déjà 2 heures 30. Nous n’avons dormi qu’à peine 4 heures, grand maximum depuis samedi matin. Nous nous séparons sur des regrets et quelques câlins alcoolisés de potes d’un soir. En effet, nous voulons aussi partir du Cap d’Agde et nous rendre à Sète demain. Le Cap n’était pas pour nous, même si nous avons rencontré six gars en or !

Sur le chemin du retour, après s’être payé un panini poulet, la marche est active. Loïc a dû mal à suivre la cadence, mais l’envie de dormir de Lucas et Léo est trop pesante. Nous rentrons à La Clape, direction illico les tentes, il est 3 heures 30. Le réveil est à 8 heures pour trouver à coup sûr un hébergement dans notre prochaine destination. Le Cap d’Agde nous laisse un goût amer. A la fois, le lieu ne nous correspond pas, à la fois nous nous sommes fait de vrais potes. Comme à Narbonne, nous espérons que demain soit encore mieux qu’aujourd’hui. Surtout, que nous puissions continuer à faire autant de belles rencontres.

 

JOUR 1 – NARBONNE NE NOUS DONNE PAS CARTE « BLANCHE » – CARNET DE VOYAGE 2016

Déjà un an que notre périple en Corse s’est achevé. Nous devons cette année recommencer l’aventure. Le travail et les études de certains et la flemme des autres ont fait que ces vacances estivales 2016 se sont organisées « à l’arrache », sans aucune préparation. Un peu moins de deux semaines avant le départ, nous nous étions simplement dits : « On part de Narbonne le 13 août, on doit être le 20 au matin à Montpellier, entre ces deux dates, on va se démerder. »

Ce « nous » était composé tout d’abord de Loïc, un ami belge que j’ai rencontré il y a de ça six ou sept années dans un centre de vacances en Ardèche. Prenant l’avion le samedi 13 août, il m’a rejoint l’après-midi à Narbonne. S’en suivent ensuite de Lucas et Léo, vieilles canailles que je côtoie depuis les rangs de la maternelle. Ces deux lascars optent pour un blablacar de nuit, afin de débarquer au premier checkpoint à l’heure tardive ou très tôt de 4 heures du matin, le dimanche 14 août. Quant au dernier de la bande, Thibault, le membre « alfa » de l’équipe, doit nous rejoindre le 16 août dans l’aventure sudiste. Nous devions être cinq. Nous devions passer une semaine dans le sud. Nous devions en prendre plein les yeux.

 

JOUR 1 – NARBONNE NE NOUS DONNE PAS CARTE « BLANCHE »

Le voyage commence pour moi en Espagne. Je viens de passer une semaine avec ma mère, mon frère et ma petite sœur en dessous de Barcelone, à Calafell. Eux restent encore une semaine près de Valence. Je n’ai pas passé de vraies vacances avec ma famille depuis plusieurs années. Cela doit certainement être un voyage en Crète, juste avant mes débuts en école de journalisme. Après sept jours dans la chaleur catalane, je prépare mon sac, ma tente et mon duvet méticuleusement.

Un blablacar doit me déposer directement à la gare de Narbonne. A l’avant du véhicule, Sophie, une jeune maman de moins de 40 ans est assise à côté de son compagnon, dont le nom m’a vite échappé. Les deux fonctionnaires au département de l’Hérault, très proches du Parti socialiste, ont connu des retournements de veste (changements de stratégie politique, pour ceux qui ne comprennent pas) assez violents lors des pertes conséquentes des fiefs sudistes. Sophie est une ancienne directrice de cabinet, rapidement mise au placard au service des ressources humaines, son amie est photographe pour la collectivité territoriale.
Je sympathise assez rapidement avec eux, mais il y a un hic, je ne suis pas le seul « passager » de ce voyage. Pendant une heure, nous attendons à Barcelone, au pas d’un Auchan, deux Espagnoles qui quittent l’aéroport pour se rendre ensuite à Montpellier. Ce sont une mère et une fille. La plus âgée ressemble à deux gouttes d’eau à la mère farfelue aux cheveux oranges de l’émission de TF1, « Qui veut épouser mon fils ». La plus jeune est blonde, à peine majeure, l’appareil dentaire dépassant de la bouche et au style bimbo et squelettique. Mais c’est surtout leur chihuahua, placé dans un sac à chien rose, qui m’a surtout insupporté par ses aboiements incessants. Satané Mirza !

La plage tombe à l’eau

Autour de 16 heures, j’arrive enfin à la gare de Narbonne. Sophie me conseille de garder son numéro si jamais j’ai besoin d’aide lors de mon trip, elle a dû sentir la bancalité de ce voyage. Moi, je retrouve enfin Loïc, que je surnomme « Lolo ». De son côté, il m’appelle « Chichi ». Seuls sa sœur et lui m’apostrophent ainsi, ce surnom est simplement lié à mes racines chiliennes. Tous les deux épuisés du voyage, on rêve de trouver un camping près de la plage et pouvoir être les premiers à se baigner. Direction Narbonne Plage, à plus d’une dizaine de kilomètres du centre-ville, un bus, coûtant la maudite somme d’un euro, nous dépose juste avant l’entrée de Narbonne Plage, proche de deux grands campings, dont l’un possède plus de 750 emplacements de tente. Devant la réception, on zieute les prix pour la nuitée. Mon porte-monnaie se cache au plus profond de ma poche, refusant d’être utilisé pour un tel montant (que je n’ose pas vous mentionner). Nous n’avons pas le choix, il faut se loger quand même. Mais ça ne va pas être une histoire d’argent puisque le camping est avant tout complet ! Grosse déception…

Je dégaine mon téléphone pour voir le pourcentage de batterie qu’il me reste. Ca ne sent pas bon, mon smartphone s’est vidé à une vitesse grand V. J’essaye d’appeler quelques campings aux alentours, la même réponse à chaque fois : complet. L’obligation de se loger ce soir est primordiale, même si la motivation commence peu à peu à disparaître. « Rejoignons le centre de Narbonne Plage, l’office de tourisme va surement nous aider », je glisse à Loïc, essayant de garder la face. Le bus doit repasser que dans 30 minutes. On mise tout sur l’auto-stop. Ca avait cartonné en Corse, là ça marchera surement, surtout qu’il y a la place de se garer et que le chemin n’est pas long. Quelle erreur… Entre les doigts d’honneur, les moqueries, les faux arrêts ou l’ignorance, on termine par reprendre le bus.

L’office de tourisme nous rit au nez : « On est le week-end du 15 août, vous savez ? Tout est complet ! » Campings, locations, gîtes, hôtels, plus aucune place. Que faire ? J’hésite à insister auprès des passants pour négocier une place dans leur jardin, mais même là, l’énergie n’y est plus. Assis sur du gazon, près de papys joueurs de pétanque et sirotant leur pastis, nous cherchons une solution, aidés des trois ou quatre cartes que nous avons. Il nous est hors de question de dormir dans la rue, surtout le premier soir.
Je prends les sacs : « On abandonne la plage. Je vais appeler Lucas et Léo pour leur dire qu’on part demain au Cap d’Agde, j’ai une amie qui nous aidera à trouver un camping. On ne peut pas rester ici. On va rincer ce soir l’hôtel mais c’est pour une nuit. » On reprend une énième fois le bus et j’utilise les derniers pourcentages de batterie de mon téléphone, que j’avais éteint « au cas où », pour trouver un hôtel. Bis repetita, le même discours, tout est complet. Nos visages se défigurent au fur et à mesure de l’arrivée du bus à Narbonne Centre. Mon baroud d’honneur est la gentillesse des gens. Je demande au passager du car s’ils savent où nous pouvions loger ce soir.

Hôtel de Paris

Une petite famille, composée d’une mère, d’un grand fils et d’une fille me répondent : «  On n’est pas d’ici, on a passé une semaine à Narbonne Plage en camping. J’(le fils) ai réservé un hôtel à Narbonne pour la nuit. Le réceptionniste m’a dit qu’il lui restait une chambre ». Originaire de l’Oise, près de Beauvais, la petite famille va prendre un vol low-cost demain matin. C’est principalement le gars qui échange avec nous, la mère profite de la hauteur de son sac à dos pour se cacher derrière et rester la plus muette possible. La demoiselle fixe constamment son téléphone. Je jette un coup d’œil vite fait sur son iPhone, découvrant qu’elle joue à l’application la plus téléchargée du moment, Pokémon Go. Les seules fois où elle intervient dans notre discussion sont pour recadrer son frère. Lui avait les yeux rouge sang, de fatigue ou dû au sel de la mer.

Pour nous, l’hôtel, dont nous avait parlé le jeune brun à l’œil de Sauron, est celui de la dernière chance. C’est ça ou la nuit se fera à l’extérieur, sans douche, sans toilettes, sans électricité. Ce dernier élément est essentiel pour contacter Léo et Lucas, qui doivent arriver à 4 heures du matin. Il est presque 20 heures. Loïc et moi suivons le trio familial vers l’Hôtel de Paris. Un signe, pour moi, le banlieusard de région parisienne ? Avant de pénétrer dans l’établissement, on passe par un sas disposant d’une vieille sonnette et d’une porte en bois abimée. Un petit homme gringalet à la voix aigüe, aux cheveux bouclés et ébouriffés, nous accueille à la réception qui n’est rien d’autre que le bas des escaliers.  Cet homme à tout faire est le responsable de cet établissement un peu glauque. Avec Loïc, nous décidons de le surnommer Alfred, en rapport au majordome de Batman, bien qu’il ressemble bien plus au personnage surréaliste de « Scary Movie 2 » qui crie « Microbes !».

Après l’enregistrement à l’ « accueil » de la petite famille, vient notre tour. Je lui lance, plein d’espoir : « Bonsoir, on voulait savoir s’il vous restait des places dans votre hôtel ?
Non, c’est complet ce soir, me coupe-t-il.
Allez monsieur, donnez-nous n’importe quoi. On peut payer, même un petit emplacement dans votre jardin, supplie-je ne m’avouant pas vaincu. Vous n’allez pas nous laisser dormir dehors. »
On le voit réfléchir. Il doute, se frottant le haut du front dégarni.
« Bon, j’ai quelque chose.
On prend, crie-t-on de joie quasi-simultanément.
Oui, mais c’est une chambre avec un lit simple, sans toilettes, ni douche. »
Le luxe pour nous. Dans l’état dans lequel nous sommes, nous ne pouvons pas rêver mieux. Nous acceptons sur-le-champ, écoutant à moitié le speech classique de l’hôtel. 20 euros la nuitée pour deux, c’est toujours moins cher que le camping.

Quel cap à Agde ?

Au deuxième étage, nous pénétrons dans la chambre 14 : une petite pièce avec un lavabo, un miroir, une fenêtre dont la peinture s’écaille, une buanderie sans cintres et un lit pour une personne et demi. Vu comment la chambre est agencée, je suppose rapidement que c’est une chambre pour prostituées, mais à cet instant, j’avais le sourire. Nous venons de trouver un lieu où dormir, où poser nos affaires, où prendre une douche (qui se trouve un étage au-dessus) et où recharger les téléphones.
Il est presque 20 heures et après une fraîche toilette, on a déjà la tête à demain, le Cap d’Agde. Il faut contacter dès maintenant les campings pour être sûr de ne pas faire une « Narbonne 2 ». Un seul camping me répond : « Il nous reste peut-être des places, mais rien n’est sûr. »

Au Cap d’Agde, j’ai un joker que je ne comptais utiliser qu’en cas d’extrême urgence et surtout n’utiliser que pour faire une surprise. Lors d’une colonie de vacances au ski, cela va bientôt faire dix ans, je me suis lié d’amitié avec Théa, une jeune Clichoise, toute rayonnante, le sourire toujours aux lèvres. Après avoir longtemps gardé contact avec elle et partagé la même licence en Information-Communication dans la même université de Saint-Denis, elle a poursuivi ses études sur Montpellier. De fil en aiguille, la jolie demoiselle aux quelques piercings a terminé par travailler en tant que barmaid dans une boite de nuit du Cap d’Agde, le « Bora ». Quelle belle coïncidence. Je voulais lui faire la surprise sur place, mais les circonstances sont tout autres.
Ainsi, je l’appelle afin de savoir si elle connaît de bons tuyaux sur place. A son « allo » chevrotant au téléphone, je comprends déjà que Théa est malade. Lui expliquant ma situation, la désormais sudiste me glisse quelques noms de camping qui lui semblent corrects et dont j’aurais le plus de chance de trouver un emplacement. A peine raccroché, je préviens mes deux compères clichois, déjà fatigués dans leur blablacar, pour les avertir de la situation.

Rive droite

Il est temps de souffler ! Le choix du repas de ce soir se porte sur une pizza. Nous avons enfin le temps de discuter. Depuis deux ans et un court séjour à Paris de Loïc, nous ne nous étions pas revu. On avait toute notre vie à nous raconter : les études, le travail, la famille, les amours, bref. Déjà 22 heures, nous optons pour une petite bière et puis dodo. La journée a été assez longue comme ça, il faut être en forme pour la suite du périple.

Un petit tour près des différents bars qui longent le canal de Narbonne, et nous nous arrêtons à la « Rive droite ». Le petit concert qui se jouait juste devant la terrasse nous a convaincu d’y prendre un verre. Encore un problème (bien moindre que les précédents de la journée), aucune place n’est disponible et les chaises libres se font rares. Après plusieurs allers-retours, j’aperçois une jeune brune, toute mignonne avec son chignon sur la tête, sirotant seule son verre de blanc (ou était-ce du rosé ?) avec de part et d’autre de la table, deux grandes chaises.
«  Salut, on peut te prendre les chaises ?
Bien sûr, je suis toute seule, allez-y !
Toute seule ? Comment ça se fait ?, je lui demande.
Je reviens d’une colo dans laquelle j’étais animatrice, je connais personne ici.
Ca tombe bien, nous aussi, si ça te dit, on peut discuter ensemble. »

Je n’ai rien à perdre. Nous sommes aussi paumés qu’elle dans cette ville totalement inconnue pour Loïc et moi. Comme quoi, la galère est un bon moyen de rencontrer des gens. Evidemment, elle acquiesce. Elle s’appelle Blanche, aura 20 ans (le 21 août, oui, aujourd’hui, c’est déjà passé). Après avoir déposé à Narbonne des enfants de sa colonie de vacances qui s’est déroulée en Bretagne, l’étudiante en licence doit prendre un train en direction du sud-est de la France demain à 11 heures. La loose. Son organisme lui a offert la superbe nuit… dans une auberge de jeunesse, dont elle définira les autres hôtes de « chelous » et « étranges ».

Quand Alfred dort, les souris dansent

Après avoir parlé journalisme, rap et autres expressions belges (un classique quand un Belge voyage en France), Blanche nous propose de poursuivre la soirée dans une boite ou un bar dansant, ce à quoi nous acceptons. Avec Loïc, j’accompagne notre nouvelle camarade de soirée dans la chambre de son auberge, pour qu’elle puisse se changer en « tenue plus cool ». 10 minutes, c’est le temps que nous ont laissé les responsables de nuit de l’auberge, n’étant nous pas autoriser à y pénétrer. Par la suite, Blanche nous suit à l’Hôtel de Paris, pour qu’à notre tour, nous puissions nous changer. Alfred nous l’avait bien spécifié : « Pas de personne externe aux clients ». Vous savez ce que nous avons fait, surtout qu’il dort, le Alfred, il était presque minuit.

Dans la chambre, nous nous changeons doucement, mais bruyamment. Enfilant un jean, je découvre la triste disparition de mon chapelet de ma poche gauche. Ceux qui me connaissent bien savent qu’il a une valeur extrêmement symbolique à mes yeux, cette petite croix représente à mes yeux le « vivre-ensemble ». Je l’avais eu en Israël, pays majoritairement juif, à Abou Gosh, ville majoritairement musulmane, dans un sanctuaire de moines bénédictins. Vous voyez le délire. Ne sachant pas que je possédais ce chapelet, Loïc m’indique l’avoir vu dans le couloir tout à l’heure, surement tombé lorsque je suis parti prendre ma douche. Semble-t-elle très touchée par l’histoire de mon petit objet, Blanche se met en quête de fouiller dans tous les couloirs de l’hôtel.

Laçant mes chaussures, la porte s’ouvre d’un coup sec. Non, ce n’est pas la jolie brune, d’origine italienne, près de Naples, qui est au premier plan, mais bien ce sacré Alfred, portant son plus laid pyjama (non, je n’ai pas vu les autres). Derrière lui, Blanche baisse la tête, entre honte, gêne et rire à la fois.
« Cette fille est avec vous. Elle n’a rien à faire ici, vous avez payé pour deux personnes, s’emporte-t-il la voix s’envolant à la fin dans les aigus. Déjà que je vous ai laissé une chambre. » On prend la poudre d’escampette pour s’en aller le plus loin possible et énerver le moins possible Alfred. Il ne fallait pas se faire virer maintenant de l’unique hôtel qui nous a acceptés.

Mais où est le Bota Foga ?

La soirée se poursuit en direction du bar dansant, que nous ne trouverons jamais, tous les passants nous ayant donné des directions différentes. Optons pour une épicerie ? La dernière et la plus proche du centre-ville ferme devant nos yeux. Il est 1 heure du matin. Sans regrets, nous faisons marche arrière pour retourner au bar de notre rencontre, la « Rive Droite ». Blanche exprime tout de même sa réelle envie, à plusieurs reprises, de découvrir ce bar dansant, qui se nomme le « Bota Foga ». La jeune fille de presque vingt ans démarre une investigation dans le quartier pour trouver cette boite. Elle interpelle deux trentenaires éméchées et tous les jeunes du coin. (Je vous épargne le long moment avec Aristide, Laurent et Aaron). Ce que notre nouvelle amie a oublié, c’est son incapacité actuelle à retirer de l’argent. Lors de la colonie, elle a dû retirer une grosse somme, qui ne lui est remboursé que plus tard.

Il est 2 heures 30 du matin. Le « Bota Foga » est abandonné. Coûtant 15 euros l’entrée, le seul bar ouvert jusqu’à tard ne donne plus très envie. Nous décidons tout de même de raccompagner Blanche, qui logé à deux pas de notre hôtel. Avant de se quitter, nous tombons sur une immense cathédrale en rénovation et dont l’entrée est facilement accessible. Se glissant sur des marches, devant la porte principale, nous profitons d’un spectacle imprévu : des étoiles filantes. C’est un peu le final réussi de cette soirée improvisée.

Nous quittons notre « Blanche » aux portes de son auberge de jeunesse, avec cette satisfaction de se dire « Premier jour, première superbe rencontre ». Il se fait tard. Dire que nous devions, à l’origine, nous lever tôt. Léo et Lucas arrivent presque de manière imminente à 4 heures du matin et nos réveils sont armés pour 7 heures 30. Ce premier jour se conclut dans notre petite chambre « à putes », de l’Hôtel de Paris, avec mon Belge préféré à mes côtés. Dès demain, l’aventure repart, avec de nouvelles personnes et une nouvelle destination ! On reprend à zéro.